Thèmes de recherches doctorales et postdoctorales

Le but de mon engagement intellectuel et de chercheuse est de contribuer à une architecture de l’appareil psychique qui soit à proprement parler mentale. « Des idées s’associent avec d’autres idées, et en résultent de nouvelles idées » disait en substance le philosophe John-Stuart Mill et il faut comprendre que ces nouvelles idées peuvent aussi venir à partir des seules idées qui les ont précédées, sans autre source ‘externe’ ou hétérogène aux représentations. Il y a une organisation à part entière des idées – qui est tant dynamique que structurelle – et c’est cette organisation-là qui constitue l’architecture psychique. En d’autres termes, il s’agit de penser la psychologie comme une science à part entière, et non à partir des référents neurologiques (biologie) ou environnementaux/sociaux (sociologie). Nous ne sommes déterminés ni par le corps ni par l’environnement dans lesquels nous naissons : quel que soit ce corps et quel que soit ce contexte, il y a une marge de liberté quant à notre devenir: cette marge de liberté a une organisation, c’est l’organisation mentale.

Pour ma pensée et pour ma recherche, je prends appui sur la métapsychologie Freudienne (et singulièrement sur l’Esquisse pour une psychologie Scientifique, 1895), la façon dont Jacques Lacan l’a relue précisément et de façon critique, son recoupement avec les neurosciences cognitives et la psycho- et neurolinguistique, et finalement sur une logique transcendantale Kantienne (pour éviter rigoureusement le raisonnement téléologique).

Ainsi, ma recherche s’articule d’abord sur les concepts des processus primaires et secondaires, du signifiant et des mécanismes de défense (répression, refoulement, autres). Un second pan de ma recherche concerne la pulsion, la compulsion de répétition, le trauma et le sexuel. Les recherches, que je mène, ne partent pas de la singularité clinique. Dans une visée des ‘dialogues des sciences’, je cherche à opérationnaliser de façon falsifiable les propositions métapsychologiques. Pour mettre en carte les processus primaires et secondaires, les mécanismes défensifs, la position du sujet dans le langage, l’emprise pulsionnelle etc., avec mon équipe, nous mobilisons des instruments, pour la plupart linguistiques, que nous avons mis au point pour fonctionner comme des ‘probes’. Ces instruments sont sensibles aux aspects universels des concepts mobilisés, et qui sont donc supposés invariables, quel que soit le contenu singulier pour leur instanciation dans chaque sujet.

Cette recherche, tant théorique qu’empirique, mène immanquablement à une réflexion épistémologique (et éthique). Je me situe dans le champ de la dite ‘neuropsychanalyse’, mais mon approche n’a pas visée à ‘prouver la psychanalyse’ à partir de sciences connexes ; elle n’a pas non plus une visée ‘constructiviste’ qui aurait l’ambition de ‘remonter’ à partir des structures ou trajectoires neuronales aux concepts métapsychologiques. Mon approche est heuristique : par rapport à l’excès d’interprétations possibles du substrat neuronal (dû à l’hyperconnectivité du cerveau), les théories mentales, informées de vécu singulier au plus intime, proposent des grilles de lectures qui peuvent parcimonieusement rassembler et illuminer l’excès de données neurophysiologiques. La direction ‘explicative’ va donc du mental au biologique – et non du biologique au mental. Parmi les concepts de la psychanalyse, certains auront une effectivité heuristique à informer et ‘simplifier’ les sciences connexes (les processus primaires et secondaires, le signifiant, le refoulement etc.) que d’autres n’auront pas : dans cet effet retour, il pourrait donc apparaitre que seule une partie de l’instrumentaire psychanalytique fasse sens dans un dialogue des sciences.

Concrètement, les recherches expérimentales s’organisent en ce moment comme suit :

(1) Processus primaires et secondaires, refoulement et signifiant 

  • Penser ou ne pas penser: avec Viktoriya Vitkova, nous reprenons le protocole Think-NoThink d’Anderson et Green (2001) afin d’étayer la difficulté d’inhibition d’associations linguistiques en fonction de facteurs de personnalité (en d’autres termes, de la structure mentale). Nous pensons qu’en particulier la difficulté d’inhiber l’ambiguïté phonologique pourrait être révélatrice de différentes structures mentales.

Dans ces deux études, nous mesurons des paramètres ERPs et EEGs. Nous sommes en particulier attentives à un ERP qui pourrait révéler cette difficulté de faire avec l’ambiguïté phonologique, la N320, la Phonological Mismatch Negativity (voir p.ex., Bazan et al., 2019b). Avec l’équipe de Guy Cheron et d’Anita Cebolla au Laboratoire des Sciences de la Motricité (ULB), nous souscrivons à l’idée que les oscillations neuronales sont au fondement de la pensée (Cebolla & Cheron, 2019 ; Cheron, 2020). Dans ce sens, nous pensons que les efforts de non-traitement de l’ambiguïté phonologique se montreront par la synchronisation alpha (voir aussi Bazan, 2017 ; Shevrin et al., 2013).

(2) Psychose, jeux de mots et métaphores 

  • Jeux de mots: avec Giulia Olyff, nos résultats montrent que la population tout-venante résout des jeux de mots sans s’en rendre compte. Nous n’avons pas pu valider l’idée que dans la psychose cette résolution était plus prégnante, cependant il y aurait une plus grande perspicacité quant au fait que le matériel stimulus forme un jeu de mot. Les résultats sont en cours d’analyse.
  • Métaphores: avec Lara Fernandes, nos résultats préliminaires suggèrent qu’en particulier dans une structure psychotique (non-clinique), la résolution de nouvelles métaphores est difficile.

(3) Sexualité et compulsion de répétition

  • Compulsion de répétition et trauma: Il s’agit d’une ligne de recherche initiée avec la thèse de la Prof. Sandrine Detandt (ULB ; Observatoire du SIDA et des Sexualités), et continuée en collaboration avec elle. Grace à un protocole GoNoGo, combiné à une mesure d’associations libres, mesurant la forme du langage à partir des stimuli du GoNoGo, nous indexons ‘l’intensité pulsionnelle’ mobilisée par ces stimuli. Cette ‘intensité pulsionnelle’ peut p.ex. être révélatrice d’un objet traumatique et/ou addictif et/ou d’une compulsion de répétition (voir aussi Detandt, 2016). L’idée est que c’est l’intensité pulsionnelle qui est en soi à mettre en rapport avec de possibles problèmes d’ordre psychopathologique et non la valence, positive ou négative, des stimuli. Nous nous intéressons en ce moment aux populations qui ont ou revendiquent un rapport spécifique quant au domaine sexuel, soit un rapport d’identité  – d’asexuel à hypersexuel, par exemple – soit un rapport professionnel – les travailleurs du sexe, par exemple.

(4) Processus primaires et secondaires par l’instrument GeoCat

Linda Brakel de l’Université du Michigan et ses collègues (Brakel et al., 2000) ont mis au point un instrument à figures géométriques, très simple d’utilisation et non-linguistique, le GeoCat, qui permet la ‘mesure’ rapide d’une forme de processus primaires et secondaires. Avec mon équipe, j’ai remanié et continué à valider l’instrument, qui en est pour l’instant à la version 1.3. Cet instrument est disponible sur simple demande et vient avec un manuel d’utilisation (Ariane.Bazan@univ-lorraine.fr).

  • GeoCat et développement : Nous clôturons l’étude qui montre l’émergence dès deux ans et demi des processus primaires ‘attributionnels’ et peu de temps après celle des processus secondaires ‘configurationnels’. Il y a un shift assez spectaculaire des processus primaires aux processus secondaires entre 5 et 6 ans. Après cet âge-là il y a une relative stabilité entre les processus secondaires (2/3) et primaires (1/3) pendant le reste de la vie (voir aussi Brakel et al., 2002).
  • GeoCat et autisme: Avec la collègue, la Prof. Lisa Ouss de l’hôpital Necker à Paris, nous récoltons des données par GeoCat dans des populations d’enfants et d’adolescents à diagnostic ‘Trouble du Spectre de l’Autisme’ ainsi que d’enfants et d’adolescents à diagnostic ‘Trouble du Neurodéveloppement’. Cette recherche est ouverte à d’autres collègues potentiellement intéressé.e.s.
  • GeoCat et transparence psychique: Nous avons montré, e.a. avec Julie Antoine-Moussiaux, qu’il y a une résurgence des processus primaires de type ‘géométrique-attributionnel’ chez les femmes enceintes dans la deuxième moitié de leur grossesse (Bazan et al., 2019a), étayant ainsi le concept de ‘transparence psychique’ de Monique Bydlowski (ex. Bydlowski, 1991). Cette recherche n’est pas pour l’instant continuée. Or, il serait très intéressant de reprendre cette recherche sous un angle longitudinal, afin de vérifier si la résurgence des processus primaires pendant la grossesse s’avère protectrice ou annonciatrice de problèmes d’ordre mental des futures mères après la naissance de l’enfant.

L’euthanasie pour raison de souffrance mentale

Finalement, la vie et l’actualité en Belgique m’ont amenée à me mobiliser sur quelques thèmes éthiques, en particulier l’euthanasie pour raison de souffrance mentale, possible en Belgique. Comme le montre cette liste, je n’avais pas a priori cette thématique dans mon viseur, mais quand en 2015 a été publiée l’annonce que Laura, une jeune fille de 24 ans avait obtenu l’accord pour euthanasie pour seule souffrance psychique (et entretemps, elle en est en effet morte), je me suis sentie moralement obligée de m’insurger, faute de quoi, étant professeure de psychologie et de psychopathologie clinique, je me serais sentie complice d’une pratique que je jugeais, et que je juge, inacceptable. Je donne les raisons de ma démarche dans plusieurs papiers, et notamment ici. Mon point principal est que la lois stipule que la situation doit être jugée ‘médicalement désespérée’ et qu’il n’est pas possible d’objectiver médicalement le caractère désespérée de la souffrance psychique.

Anderson, M. & Green, C. (2001). Suppressing unwanted memories by executive control. Nature, 410, 366-369.
Bazan, A. (2007). Des fantômes dans la voix: une hypothèse neuropsychanalytique sur la structure de l’inconscient. Montréal: Liber.
Bazan A. (2017). Alpha synchronization as a brain model for unconscious defense : An overview of the work of Howard Shevrin and his team. International Journal of Psychoanalysis, 98(5), 1443-1473.
Bazan, A., Jorge Mendes, S., Antoine-Moussiaux, J., & Prys, D. (2019a). Empirical evidence for psychic transparency in pregnancy. Psychoanalytic Psychology, 36(3), 239-248. http://dx.doi.org/10.1037/pap0000212
Bazan, A., Kushwaha, R., Winer, E. S., Snodgrass, J. M., Brakel, L. A., & Shevrin, H. (2019b). Phonological ambiguity detection outside of consciousness and its defensive avoidance. Frontiers in human neuroscience, 13, 77.
Brakel, L., Kleinsorge, M., Snodgrass, & Shevrin, H. (2000). The primary process and the unconscious: Experimental evidence supporting two psychoanalytic presuppositions. International Journal of Psychoanalysis, 81, 553-569.
Brakel, L.A.W., Shevrin, H. & Villa, K.K. (2002). The priority of primary processcategorizing: experimental evidence supporting a psychoanalytic hypothesis. Developmental. The Journal of the American Psychoanalytic Association, 50(2): 483-505.
Bydlowski, M. (1991). La transparence psychique de la grossesse. Etudes Freudiennes, 32, 78–153.
Cheron, G. (2020). Les oscillations neuronales – Fondement du mouvement et de la pensée. Académie Royale de Belgique : Collection L’Académie en poche.
Cebolla, A.M. & Cheron, G. (2019). Understanding neural oscillations in the human brain: from movement to consciousness and vice versa. Frontiers in Psychology, August, 27;10:1930. doi: 10.3389/fpsyg.2019.01930. PMID: 31507490; PMCID: PMC6718699.
Detandt, S. (2016). De la « jouissance » au « wanting » dans une population de fumeurs: étude empirique sur les tenants des assuétudes à l’interface des approches clinique et expérimentales. Thèse non publiée. Université libre de Bruxelles.
Freud, S. (1895/1956). Esquisse d’une psychologie scientifique. Dans La naissance de la psychanalyse. Paris: Presses Universitaires de France, 309-404.
Shevrin, H., Snodgrass, M., Brakel, L.A., Kushwaha, R., Kalaida, N.L., & Bazan, A. (2013). Subliminal unconscious conflict alpha power inhibits supraliminal conscious symptom experience. Frontiers in Human Neuroscience, 7, 544. doi: 10.3389/fnhum.2013.00544.